En décembre, une série d’articles publiés dans Le Devoir a mis en évidence les risques à long terme des chambardements et des coupes dans les réseaux régionaux de santé. On y annonçait notamment la fin de l’accompagnement des médecins par les directions régionales de santé publique pour la mise en place de programmes de prévention (suicide, violence conjugale, infections transmissibles sexuellement, tabagisme, soutien à l’allaitement, etc.), ce qui occasionne des impacts concrets sur les services à la population.
Pourtant, le 8 et le 9 décembre 2015, le ministère de la Santé et une foule d’intervenants de la santé publique ont réitéré l’importance de cet accompagnement des acteurs du réseau, « considéré comme un levier incontournable pour contribuer au développement continu des pratiques » lors des Journées annuelles de santé publique (JASP), grand rendez-vous de formation continue. Implanter des programmes de prévention est crucial, mais encore faut-il qu’on se donne les moyens de les mettre en pratique. Cette volonté se transforme alors en vœu pieux au moment où l’on délaisse l’accompagnement nécessaire offert par les experts régionaux. Dans un article du Devoir du 20 novembre, un professionnel de la santé publique mentionnait que « le fait de perdre le tiers des effectifs compromet notre capacité de diagnostiquer les problèmes de santé de la population, de voir si notre population va bien ou non ».
Le ministre Gaétan Barrette préfère pourtant faire la sourde oreille à la sagesse la plus élémentaire en pilotant une réorganisation qui affecte de nombreux programmes de prévention. Les compressions de 30 % au sein des nouvelles directions de la santé publique se traduiront à terme par l’aggravation des problèmes de santé au sein de la population québécoise et ce sont les populations les plus vulnérables qui écoperont davantage.
Il semble qu’un certain populisme préside à ces coupes drastiques puisque le ministre prétend s’attaquer à une bureaucratie inutile, formule à la mode qui ne colle pas à la réalité. Les experts en santé publique détiennent une connaissance spécifique du terrain qui est primordiale car elle permet de moduler les programmes pour les adapter régionalement, puisque les indicateurs de santé varient d’une région à l’autre, et de distribuer les ressources selon les besoins de la population sur l’étendue du territoire pour ensuite évaluer si les objectifs ont été atteints.
Une centralisation à contre-courant
Cette décentralisation est pourtant l’approche qui est adoptée par de plus en plus d’États. Mais avec les nouvelles structures découlant de la loi 10 (CISSS et CIUSS), les décisions, qui se doivent d’être collées à la réalité terrain, sont prises par des gens éloignés des régions et moins au courant des besoins particuliers. Face à une centralisation excessive, nous sommes en droit de nous demander comment le ministre peut gérer un réseau aussi complexe de son bureau à Québec. Comment pourra-t-on déployer les services en fonction des besoins réels de la population d’une région donnée?
Cette idée, en apparence séduisante d’abolir les agences régionales de santé au nom d’une diminution de la bureaucratie ne tient pas compte des impacts à long terme sur la santé de la population. En effet, les études démontrent que chaque dollar investi en prévention fait économiser de 5 à 10 $ en dépenses curatives. Or, en éparpillant les ressources des agences entre les Directions de santé publique, les nouveaux méga-établissements et le ministère de la Santé et des services sociaux, c’est l’efficacité des programmes de prévention qui est à risque.
Notre organisation syndicale, qui représente la majorité des professionnels en santé publique, milite depuis des années pour le maintien de la prévention sur le plan régional. Dès le dépôt du projet de loi 10 et l’annonce des coupes en santé publique, nous avions prédit ce qui arriverait. Or, nous assistons aujourd’hui à la concrétisation d’une catastrophe annoncée. Nous croyons qu’avec la centralisation des campagnes de prévention et de promotion de la santé, l’adaptation aux réalités régionales et locales n’est tout simplement plus possible.
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