Les sages-femmes exercent une profession exceptionnelle. Dotées de compétences multiples et d’un grand sens de l’empathie, elles peuvent être appelées à assister un accouchement ou à répondre à une situation urgente à tout moment. En quelques mots : les sages-femmes concrétisent à elles seules le sens du mot vocation.
« Nous ne savons jamais de quoi la journée sera faite », souligne d’emblée Claudia Faille, qui quitte le poste de la présidence du Regroupement Les sages-femmes du Québec (RSFQ), après sept ans à en assurer les fonctions. Lorsqu’une sage-femme reçoit un appel, elle doit être en mesure d’évaluer très rapidement la situation. Et elle peut être demandée à toute heure pour un accouchement ou un suivi urgent. « Il nous arrive de rentrer très tard après une nuit de travail et de nous faire rappeler deux ou trois heures après. Ça aussi, c’est notre réalité. »
Pour pouvoir pratiquer au Québec, les étudiantes sages-femmes doivent compléter une formation de quatre ans à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Bon an mal an, de 20 à 25 sages-femmes obtiennent leur diplôme, mais le manque d’accessibilité aux services dans plusieurs régions demeure criant. Selon un sondage CROP réalisé en 2010, une femme sur quatre souhaiterait accoucher à domicile ou dans une maison de naissance. « Les sages-femmes sont les seules professionnelles à répondre à leur demande, souligne Claudia Faille. À certains endroits, les femmes ne s’inscrivent même plus sur les listes d’attente, car elles sont convaincues de ne pouvoir obtenir de place. Et on ne parle que des régions où les services sont disponibles ! »
La Politique de périnatalité 2008-2018 du gouvernement du Québec prévoit pourtant que les sages-femmes devraient assister 10 % de tous les accouchements d’ici 2018. « On est passé de huit maisons de naissance en 2008 à treize en 2016, alors que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) en prévoyait vingt et une pour 2018. De plus, le nombre de suivis complets et d’accouchements, qui se situe autour de 3 % par année, est encore bien en deçà de l’objectif fixé », déplore la présidente sortante du RSFQ.
Pour atteindre cette cible, le gouvernement devrait donner un soutien concret au programme universitaire, pour l’attraction et la rétention des sages-femmes, pour la promotion de la pratique et celle de l’accouchement naturel qui diminue les interventions obstétricales non nécessaires. Ces éléments sont cruciaux. « Malheureusement, il faut se battre contre le lobbyisme médical et la méconnaissance de notre pratique chez bien des professionnel-les de la santé », renchérit Claudia Faille.
Les conditions de pratique des sages-femmes laissent quant à elles encore à désirer, même si leur ténacité leur a permis de réaliser certains gains.
Une première négociation difficile
« La première entente conclue en 2004 avec le MSSS, alors sous l’autorité de Philippe Couillard, devait être complètement revue, puisqu’elle avait été négociée sans aucun rapport de force », précise Claudia Faille, qui s’est impliquée au comité de négociation en 2006, un an après avoir reçu son diplôme. Lors de cette première négociation, les salaires sont revus à la baisse. Alors que les sages-femmes gagnaient de 50 000 $ à 55 000 $ entre 1994 et 1999, époque où des projets-pilotes étaient en place avant la légalisation de la profession en 1999, leur salaire au premier échelon chute à 42 000 $ en 2004. Les sages-femmes sont outrées. C’est alors que le RSFQ prend une entente de service en 2009 avec la Fédération des professionnèles (FP–CSN) afin d’accompagner les sages-femmes dans l’amélioration de leurs conditions de travail et le développement de la profession. C’est à ce moment que Claudia devient présidente du RSFQ.
Lorsque Claudia Faille prend la relève de la présidence, elles sont prêtes à livrer la bataille. « On doit à Céline Lemay avant moi d’avoir fixé les fondements de la pratique », tient-elle à préciser. On arrivait à une deuxième étape. Avec le soutien indéfectible de la FP-CSN, la pression s’accentue et les actions de visibilité se multiplient pour sensibiliser l’opinion publique à leur réalité. Des comités de relations de travail, de mobilisation et de négociation sont mis en place. À l’époque, de nombreuses sages-femmes accumulent les heures supplémentaires sans être payées en retour. N’ayant pas encore acquis le réflexe de revendiquer leurs droits, elles n’utilisent pas les mécanismes prévus à l’entente. Une sage-femme est donc désignée pour la faire respecter.
En 2004, la prime qu’elles recevaient pour la garde s’élevait à 3600 $ par année. Autant dire qu’elles étaient rémunérées 1 $ l’heure de garde pour être disponibles 10 jours sur 14, 24 heures sur 24, afin de répondre à toute éventualité. « Il a fallu se battre pour défendre notre modèle de pratique centré sur la continuité, donc sur la garde », évoque Claudia Faille. Cette continuité favorisée par la garde permet aux sages-femmes de répondre directement aux besoins des femmes et des familles ; elle apporte d’excellents résultats, diminue les coûts de suivis et d’accouchement et favorise une plus grande satisfaction de la clientèle. Il en résulte également une augmentation des accouchements naturels, de l’allaitement maternel, de l’autonomie et de l’empowerment pour les femmes et les familles.
Des lacunes à corriger
Des lacunes importantes subsistent pour que les conditions de travail des sages-femmes, notamment celles qui sont reliées à la garde, soient à la hauteur de leur travail et de leur responsabilité.
En 2010, alors que s’amorce la deuxième négociation de leur entente avec le gouvernement, l’ampleur de la tâche est très vaste. Certes, elles réalisent certaines avancées, dont l’obtention de congés sans solde, le financement d’activités de perfectionnement, la prime de consolidation et d’attraction pour la responsable des services de sage-femme, mais des demandes importantes restent toujours lettre morte, tel le modèle de rémunération qu’elles souhaitent plutôt basé sur les suivis complets que sur les heures supplémentaires, à l’image des pratiques autonomes à travers le Canada.
Une des demandes centrales lors de la dernière négociation était la bonification du forfait de garde, qui finalement sera modifié à la hausse pour atteindre 8250 $. « Ceci représente dans les faits un peu plus de 2 $ l’heure de garde. C’est un peu mieux, mais toujours largement insuffisant. »
La politique de remboursement du kilométrage n’est toujours pas adaptée à la réalité des sages-femmes, dont le travail exige de nombreux déplacements, souvent à partir de leur domicile. « Les employé-es et les cadres du gouvernement sont remboursés à partir de leur point de service pour leurs déplacements, ce qui ne s’applique pas à notre travail. Nous devons à tout moment être en mesure de nous déplacer », explique-t-elle. Encore une fois, c’est une fin de non-recevoir de la part du gouvernement. Autre refus encaissé par les sages-femmes : l’intégration à l’entente des primes et des conditions dont bénéficient depuis 2008 celles qui œuvrent dans le Grand Nord. « Elles s’occupent de clientèles qui présentent des caractéristiques particulières et sont en plus responsables de la formation théorique et pratique des sages-femmes autochtones. Leurs conditions doivent officiellement être consignées à l’entente. »
La négociation de 2016 présente donc plusieurs défis. Le gouvernement a la possibilité de régler rapidement cette négociation, s’il se met en mode écoute et gros bon sens. Malheureusement, il semble très peu pressé à négocier. « Je ne serai plus à la présidence du RSFQ, mais j’accompagnerai le comité de négociation jusqu’à la conclusion d’une entente satisfaisante. Ma contribution au cours des sept dernières années me rend fière et satisfaite du travail accompli, même s’il reste beaucoup à faire », conclut Claudia Faille.
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