Maillon essentiel du réseau de la santé, les diététistes-nutritionnistes sont présentes dans les centres hospitaliers, les CLSC, les centres d’hébergement et dans les centres de réadaptation. Elles travaillent à l’amélioration et au maintien de l’état nutritionnel des gens en les soutenant dans l’amélioration de leurs habitudes alimentaires. Voilà pour la description officielle. Cependant, la réalité de leur profession est plus passionnante encore et l’importance de leur rôle dans le réseau est largement sous-estimé.
En effet, la science pointe de plus en plus vers l’alimentation pour expliquer un nombre incalculable de maux et les nutritionnistes sont de plus en plus spécialisées afin d’y répondre. « Depuis les années 80, il est de plus en plus facile de travailler en collaboration étroite avec les médecins, rappelle Martine Bienvenue. Les nutritionnistes ont de plus en plus leur place dans le traitement médical des patients. La réforme du Code des professions a statué que la détermination du traitement nutritionnel et sa surveillance sont des activités réservées aux nutritionnistes et je crois que cela a grandement aidé à obtenir plus de confiance de la part des médecins.» Mais la partie n’est pas encore gagnée, souligne-t-elle, car il reste encore du travail de sensibilisation à faire auprès des collègues de travail pour bien faire comprendre la nature et la portée de leur profession. Car les mythes ont la vie dure…
Des mythes à défaire
Dans les médias, un peu tout le monde peut se prétendre spécialiste de la nutrition. Et l’impression demeure que ces spécialistes auto-proclamés servent surtout à faire perdre du poids, vendant ainsi des miracles qui ne peuvent se réaliser. Les diététistes-nutritionnistes sont donc parfois confrontées à des attentes irréalistes qui complexifient leur travail.
« Les médias contribuent à créer un modèle irréaliste de beauté chez les femmes, explique Valérie Blouin. Alors, beaucoup d’entre elles suivent des régimes pour perdre du poids, parfois au détriment de leur santé. Mais le point de départ pour faire des changements à notre alimentation, c’est l’acceptation de soi. On agit donc sur la santé globale, sur le bien-être physique et mental, sur la relation avec leur image corporelle. On travaille aussi la relation avec la nourriture. Le côté métabolique est important, mais pour faire des changements durables, ça passe par l’émotif et l’affectif. Si on ne prend pas compte de cet aspect, on peut passer à côté du problème avec certaines personnes ».
Julie Gravel, qui travaille pour sa part en santé publique, souligne aussi à gros traits l’importance de la relation des individus avec la nourriture et souhaite que les gouvernements en comprennent davantage l’importance. Car les approches actuelles sont trop axées sur les restrictions alimentaires, dont on constate l’échec aujourd’hui. « Nous sommes dans un paradigme où les aliments sont classés dans deux catégories : les bons et les mauvais. Il est nécessaire de sortir de ça, comme l’a fait le Brésil récemment avec sa nouvelle version de leur guide alimentaire. Nous devons apprendre à retrouver une relation saine avec les aliments, en cuisinant davantage, en favorisant la convivialité et le plaisir de manger. Il faut envoyer un message positif à propos de l’alimentation ».
Comme la nutrition est issue de la diététique, une profession médicale, nous avons parfois trop focalisé sur la maladie et oublié la relation fondamentale avec la nourriture, qui est un aspect anthropologique, rappelle Julie. Selon elle, le prochain guide alimentaire canadien, actuellement en révision, devrait s’appuyer davantage sur cette dimension.
Créer un lien de confiance
Pour exercer la profession de diététiste-nutritionniste l’établissement du lien de confiance est une priorité. Pour Valérie, la relation d’aide est en fait un aspect essentiel de la nutrition. « Certaines personnes sont très méfiantes : elles croient que je vais les mettre au régime, ce qui n’est pas le cas! Il faut faire preuve de beaucoup de psychologie ».
Jean-Philippe Lavoie, qui œuvre en soutien à domicile, abonde dans le même sens. « Il faut faire preuve de persuasion pour que les gens appliquent nos conseils et pour qu’ils aient un impact sur leur santé. Il faut aussi s’assurer d’être bien compris. Par exemple, avec des personnes âgées en perte d’autonomie avec des problèmes cognitifs, nous devons d’abord faire comprendre l’importance du traitement nutritionnel », ce qui constitue parfois tout un défi.
Il faut donc y aller à petit pas, avec des objectifs très réalistes, puisque la motivation chez ces personnes est souvent déficiente, explique-t-il. Nous devons également convaincre les proches aidants de l’importance de la nutrition car les enjeux sont importants : les risque de chutes et de plaies sont élevés à un âge avancé. « Les chutes sont aussi un danger qui guette plusieurs personnes âgées, ajoute Martine Bienvenue. Lorsqu’elles sont alitées, elles perdent beaucoup de masse musculaire. Elles ont parfois des pertes d’appétit sévères et des baisses de poids très rapides. Elles ont alors un risque élevé de dénutrition. » À cela s’ajoute un ensemble de problèmes gastro-intestinaux graves qui nécessite une attention et une connaissance médicale très poussée.
Rigueur et souci du détail
Les déficiences ou les excès en différents nutriments demeurent un enjeu pour bon nombre de personnes. Comme celles-ci ont toutes des réalités différentes, les nutritionnistes doivent évaluer chaque situation et recommander des plans d’interventions personnalisés. C’est pourquoi il faut faire preuve de précaution, d’une grande rigueur professionnelle et d’un souci du détail, rappelle Martine Bienvenue. Non seulement il faut saisir les comportements et les états d’âme, mais nous devons également tenir compte de tous les antécédents médicaux, de l’influence des médicaments sur le métabolisme, de leurs effets secondaires, etc. »
Odette Drolet œuvre en CLSC depuis 1985 auprès d’une clientèle majoritairement à risque. Conséquemment, elle se doit procéder à des évaluations nutritionnelles très pointues. « Dans le milieu de la santé plusieurs intervenants estiment qu’ils peuvent parler de nutrition et dépassent les limites de leur profession. Mais on ne peut pas s’improviser nutritionniste. Dans un contexte particulier comme une grossesse, ça peut être catastrophique! Depuis 30 ans, j’ai constamment dû réaffirmer l’importance de l’information nutritionnelle ».
Une place à prendre
En somme, les nutritionnistes doivent encore faire valoir l’importance et la pertinence de leur travail. « Il faut savoir prendre notre place, rappelle Jean-Philippe. Les gens sont parfois étonnés de tout ce que nous avons comme connaissances scientifiques. Il y a une dimension très biochimique dans notre formation. On doit procéder à des analyses poussées », explique-t-il.
Mais transposer cette formation scientifique dans la réalité n’est pas de tout repos, soutient Odette Drolet. « Par exemple, la moitié de ma clientèle est composée d’immigrants. Souvent, ils n’ont pas d’emploi, ni de réseau pour les aider à élever leurs bébés. Ils sont dans des contextes épouvantables et c’est plus difficile de leur faire comprendre l’importance de la nutrition. Parfois, ils ont aussi des pratiques culturelles qui contredisent nos interventions. On doit donc toujours s’adapter et faire preuve de beaucoup de créativité! »
Le maintien de l’équité salariale, une priorité
Pour les diététistes-nutritionnistes au Québec, le dossier du maintien de l’équité salariale constitue une énorme source de frustration, lance Martine Bienvenue, qui exerce cette profession depuis près de trente ans. « Le conseil du Trésor pense encore qu’on fait des menus! Il s’imagine qu’on est dans les cuisines avec des bonnets sur la tête », lance-t-elle, exaspérée. En effet, ce dossier traîne depuis trop longtemps et la réponse du gouvernement se fait toujours attendre.
Cette profession a beaucoup évolué au cours des dernières années, en raison notamment de la complexification des interventions et des pratiques professionnelles et de l’évolution des connaissances scientifiques. Par ailleurs, les modifications au code des professions de 2003 leur a accordé deux activités réservées : déterminer le plan de traitement nutritionnel, incluant la voie d’alimentation appropriée, lorsqu’une ordonnance individuelle indique que la nutrition constitue un facteur déterminant du traitement de la maladie et surveiller l’état nutritionnel des personnes dont le plan de traitement nutritionnel a été déterminé. La FP-CSN considère que ces changements doivent entrainer une hausse du rangement salarial de cette catégorie d’emploi. Elle poursuit des représentations dans le cadre de l’exercice du maintien de l’équité salariale et a déposé des plaintes qui contestaient la sous-évaluation de l’emploi. Celles-ci continuent d’être soumises au processus de conciliation.
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