Les éducateurs spécialisés constituent le principal groupe de techniciens représentés par la CSN. Au fil des ans, la CSN, la Fédération des professionnèles et ses syndicats affiliés ont non seulement développé une expertise particulière auprès des TES, mais ont également travaillé sans relâche à valoriser cette profession qui obtient rarement la reconnaissance méritée. Toujours avec cet objectif de mieux comprendre le travail des éducateurs, sa complexité et ses enjeux, voici le portrait que cinq spécialistes de l’intervention éducative dressent de leur profession.
Le travail de Line Alain, éducatrice spécialisée au CLSC de L’Ancienne-Lorette, consiste en quelque sorte à cultiver la bienveillance, à accompagner et à soutenir des gens qui vivent avec une problématique de santé mentale. « Il s’agit pour nous de créer l’espoir, de susciter une étincelle. C’est ce qui manque le plus à la personne qu’on accompagne au quotidien parce qu’elle s’associe trop souvent à sa maladie. Il faut lui faire comprendre qu’elle n’est pas une maladie, mais une personne et lui faire découvrir qu’elle a du pouvoir. »
« Mon travail, c’est aussi de combattre les préjugés, raconte Xavier Isabelle, qui œuvre en milieu hospitalier (IUSMQ). Il faut demander aux autres de comprendre la réalité de la personne, expliquer la déficience intellectuelle ou la maladie mentale, pour défaire les préjugés liés à cette maladie ». Agir sur l’environnement, travailler avec la personne en difficulté, mais aussi auprès du milieu, que ce soit les parents, les voisins, l’école, le médecin, l’employeur ou les amis. C’est aussi pour Xavier de s’assurer que l’espoir demeure bien vivant « Il faut arrêter de croire que tout a été essayé pour notre clientèle et qu’ils ne sont pas capables. Je crois que dans plusieurs situations, il est prouvé que l’un des premiers facteurs d’échec du rétablissement d’une personne, c’est l’équipe traitante en place qui a perdu espoir. Alors, il faut aussi travailler à changer cette mentalité dans les milieux de travail. »
Marie-Ève de Bellefeuille, qui accompagne les familles d’enfants aux prises avec des troubles de comportements et des retards de développement, abonde dans le même sens. « S’il n’y a pas d’espoir, les gens ne peuvent pas changer. Mais ça commence par nous, sinon, on ne va jamais amener un changement. Mais toutes les coupes budgétaires et les réorganisations qu’on vit depuis quelques années nous rendent la tâche plus difficile. On est découragés par ces changements et ces coupes, alors ça diminue notre outil essentiel qui est l’espoir! » Un constat partagé par ces cinq éducateurs aux expertises différentes.
Qui plus est, les coupes budgétaires retardent l’accès aux bons services pour les personnes, ajoute Alexandre Tremblay. « Ça alourdit les situations et retarde le développement de la personne », se désole-t-il.
« Une profession tatouée sur le coeur »
Malgré le contexte difficile, tous refusent de baisser les bras, car la mission qu’ils se donnent est trop importante. « Notre profession, on l’a tatouée sur le cœur, lance Rémi Giguère, du Centre jeunesse de Québec. On aime les humains, on crée naturellement du bien-être autour de nous et les gens sont attirés vers nous. Je veux que lorsque l’enfant est inquiet, la personne qui arrive soit significative pour lui et sécurisante. C’est notre rôle et il est important. » L’éducateur devient en quelque sorte un deuxième parent qui favorise la reconstruction de l’enfant en difficulté. « La valorisation des personnes, ça vient bonifier notre paie », résume pour sa part Alexandre.
Ce souci de la personne et cet amour du contact humain est ce qui a poussé ces cinq membres de la CSN à choisir la carrière d’éducateur. C’est la condition essentielle pour exercer cette profession. « Pourquoi je fais ça? Pour le salaire du cœur, dit Xavier. Ce qu’on va chercher, c’est une grande valorisation. On se sent impliqué dans la vie de ces gens-là. On peut leur redonner du pouvoir, encourager l’expression de leurs droits, les aider à développer de l’autonomie. On n’est pas seulement éducateur de 7 h 30 à 3 h 30. C’est plus que ça, c’est un choix de vie! »
Mais ce travail exige bien plus que de bonnes intentions. Si l’éducateur accompagne des personnes en difficulté d’adaptation psychosociale, il doit lui-même faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. « Il faut respecter le rythme de chacun et avoir cette capacité de se mettre au même niveau que la personne, rappelle-t-il. C’est la personne qui exprime ses objectifs. Aujourd’hui, elle est là, et demain, elle me dira où elle veut aller. Je dois tout mettre en œuvre pour lui faire garder l’espoir. »
C’est donc à petits pas que l’intervenant doit travailler sur les habiletés sociales, émotives, motrices, relationnelles, l’estime de soi ou l’hygiène de la personne. Encourager sans jamais juger, peu importe les résultats, explique Line.
Une créativité nécessaire
Pour les éducateurs spécialisés, la capacité d’adaptation est d’autant plus nécessaire que l’environnement de travail est très diversifié. Ils peuvent aider des professeurs en classe, être en centre jeunesse avec des enfants ou en déficience intellectuelle pour aider les gens à se laver. La liste peut s’allonger encore. Il faut donc savoir se réinventer. « Il faut aimer le défi et être créatif, lance Rémi. On doit se retourner rapidement si nos approches ne fonctionnent pas et changer nos façons de faire. »
Une autre particularité propre aux éducateurs, c’est la proximité avec la clientèle, qui se forge au fil des rencontres et qui permet d’être témoin de leurs batailles et de leurs victoires. « On va là où plusieurs n’ont jamais pu aller, explique Xavier. On est présent dans plusieurs sphères de leur vie ». C’est cette proximité qui se forge au fil des rencontres qui permet le changement.
« Les gens comprennent qu’on est là pour les accompagner, renchérit Alexandre. Le fait qu’on est au quotidien avec eux, ça évite d’être perçu comme une police. Mais cette présence constante permet aussi d’observer des détails que les autres spécialistes ne peuvent pas voir. Au CRDI, on passe 40 heures par semaine avec eux. On sait que quand une personne se met la main sur l’oreille, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas ». Cette expertise a une valeur, insiste-t-il, c’est pourquoi il souhaiterait que l’éducateur soit reconnu à sa juste valeur.
Un manque de reconnaissance
En effet, le manque de reconnaissance de l’expertise des éducateurs est ressenti par ces cinq éducateurs et se manifeste par un manque de confiance envers leurs observations cliniques. Les changements de mentalité tardent à venir. « Je pense que nous sommes menaçants pour les médecins, qui eux, peuvent établir des diagnostics, observe Rémi. Je vois bien que je n’ai pas de beaucoup de crédibilité », laisse-t-il tomber. « De mon côté, je suis moins dans le médical, rappelle Marie-Ève, qui travaille en CLSC. Il y a de l’ouverture, mais il y a encore du travail à faire. »
« À mon travail, il y a plusieurs psychiatres et la reconnaissance varie d’un à l’autre, raconte Line. Certains nous consultent, d’autres pas. Notre principal outil de travail, c’est nous, poursuit-elle. C’est une combinaison du savoir et du savoir-être. Nous sommes des spécialistes du quotidien. Mais malheureusement, le quotidien n’est pas reconnu. »
Éviter les blessures
Au-delà de la reconnaissance de la profession, il y a un autre enjeu majeur pour plusieurs éducateurs spécialisés : la santé et la sécurité au travail. « Dans notre CRDI, il y a tellement d’agressions, d’arrêts de travail pour blessures, raconte Alexandre. On doit mettre en place du personnel qualifié pour intervenir en cas de crise. On est obligé de jouer nous-même le rôle d’agent d’intervention. On se fait frapper, on se fait mordre. Il faut aussi sécuriser les résidences davantage. C’est l’un des aspects sur lequel un de nos représentants de la CSN travaille. Les ressources du CRDI doivent être mieux organisées et adaptées. Il faut aussi de meilleures formations pour outiller les intervenants. »
Aux blessures physiques s’ajoute aussi la détresse psychologique, qui cause de plus en plus de congés de maladie, en raison notamment de la surcharge de travail et la lourdeur des cas. À de nombreuses reprises depuis quelques mois, la CSN est intervenue dans l’espace public pour dénoncer cette situation. Si la population est de plus en plus sensibilisée sur la question, il reste à espérer que le message sera enfin entendu au sein des hautes instances.
Lutte pour la reconnaissance des éducateurs par la CSN
Les luttes de la CSN pour la reconnaissance de la profession d’éducateur spécialisé ont été nombreuses au fil des années. En 2009, le projet de loi 21 modifiant le Code des professions, n’augurait rien de bon pour les tâches réalisées par les éducateurs dans le réseau de la santé. L’Office des professions n’avait pas évalué le travail des éducateurs car il le considérait comme marginal et peu structuré. Cependant, les éducateurs ont évité le pire grâce aux interventions de mise en valeur de la profession d’éducation spécialisée effectuées par la CSN qui a convaincu le gouvernement et l’Office des professions de reconsidérer les tâches des éducateurs dans la mise en place du projet de loi. De plus, les interventions de la CSN auront permis de réduire l’impact de la professionnalisation sur les services que les éducateurs offrent à la population car au final, ils ont pu poursuivre les tâches qu’ils effectuaient auparavant.
Gains majeurs : prime de garde fermée et repas payés
Historiquement, la FP-CSN a également obtenu en négociation des gains uniques pour les éducateurs : les repas payés (à l’interne) et la prime de garde fermée (annexe G). Il s’agit d’une des raisons qui font dire à de nombreux éducateurs qu’il est primordial de conserver ces acquis en demeurant au sein de la CSN.
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