« Nous sommes les travailleuses de l’ombre : peu de gens savent ce qu’on fait, estime Caroline-Anne Routhier, travailleuse sociale en soutien à domicile au CLSC de Limoilou. Même au sein de nos familles, on ne comprend pas ce qu’on fait. Nous ne sommes jamais à l’avant-plan, mais nous savons que si nous n’étions pas là, ça n’irait pas bien! », lance-t-elle. Si cette profession est mal comprise par la population, elle est aussi peu reconnue. « Le psychosocial n’est pas valorisé », laisse-t-elle tomber.
C’est pourquoi nous avons rencontré six intervenant-es en travail social membres de la CSN prêts à témoigner de leur quotidien et des défis liés à leur profession.
Or, le travail social est un domaine extrêmement varié, avec une multitude de tâches, de clientèles et de contextes différents. « Nous sommes des généralistes du social. Chaque client est différent ». Pour Madeleine, il est essentiel d’évaluer dans chaque cas les différents facteurs de risque et de protection.
Une grande capacité d’analyse
Les évaluations psychosociales touchent plusieurs aspects et il est important de pouvoir procurer le bon service en fonction de la condition particulière de chaque personne. Il s’agit alors de bien cerner le besoin et faire un portrait de la condition de la personne, pour bien comprendre où elle est. Pour cela, il faut être doté d’une vivacité d’esprit et d’une grande capacité d’analyse.
« Par contre, même si on doit analyser constamment et se baser sur des faits, nous sommes tout de même dans le domaine du ressenti et des non-dits. Il faut lire le non-verbal, regarder l’environnement et un ensemble d’indicateurs. Il faut aller plus loin que ce qui nous est dit pour faire nos évaluations. Nous sommes des sortes de Columbo », s’exclame Caroline-Anne. En effet, le besoin qui est exprimé au premier appel est rarement celui auquel on donne suite, explique-t-elle. Il nous vient l’image de la poupée russe : derrière une problématique s’en cache souvent une autre.
Pour l’amour de l’humain
La variété et la complexité des tâches rend la description du travail d’intervenant social un peu complexe. « Mais ce qui nous lie, au-delà de toutes les autres considérations, c’est le contact humain, c’est l’amour de l’humain », résume Valérie Slythe, travailleuse sociale au CRDI de Québec. Pour aider les gens à se prendre en main, à trouver leurs solutions et à développer leur potentiel, il faut disposer d’un arsenal de qualités humaines, comme l’empathie, le respect et des capacités d’écoute, de communication et de non-jugement. C’est ce que ça prend pour établir un lien de confiance, qui est à la base de tout changement, explique Valérie. « Le savoir-être est ton principal outil, souligne pour sa part Sabrina Gilbert-Villeneuve. C’est pour cette raison que si on ne va pas bien personnellement ou si on vit des difficultés à la maison, on ne peut pas bien faire notre travail. »
Cette empathie et ce désir profond d’aider les autres viennent parfois avec un revers, celui du sentiment d’impuissance face aux gens qu’on tente d’aider. D’où l’importance de savoir mettre ses limites. « Souvent, on veut plus qu’eux-mêmes, raconte Denis Angers. Mais il faut se dire constamment que ce n’est pas nous qui allons régler les choses à leur place. C’est eux qui doivent régler leurs problèmes par eux-mêmes. »
Un autre grand défi dans la profession est de prioriser les interventions et de mettre ses limites. En d’autres mots, il faut déterminer si une urgence est plus importante qu’une autre. « On se demande parfois si une intervention qu’on ne peut pas faire peut créer un drame. Il faut savoir garder son sang froid », raconte Sabrina. Mais malgré toutes les difficultés et les pressions, le travail demeure gratifiant. Car la plus grande satisfaction, c’est quelqu’un qui réussit, reconnaissent les intervenants. « C’est parfois long et pénible avant d’obtenir les ressources appropriées, souligne Denis. Mais à la fin, on ressent toujours une grande satisfaction! »
Des coupes budgétaires qui font mal
Malgré leur passion pour leur travail, tous admettent que depuis quelques années, la frustration s’installe en raison du contexte budgétaire et des coupes dans les services. Les intervenants doivent faire face à des cas de plus en plus lourds et la prévention est mise de côté, faute de temps. « En soutien à domicile on est à la remorque des hôpitaux, rappelle Caroline-Anne. Nous exécutons leurs ordres : ils veulent sortir les gens des civières rapidement. Beaucoup de personnes âgées sont seules et ont souvent du mal à se défendre. Nous agissons un peu comme des avocats de la personne. Il faut se battre contre le système, le réseau ou les résidences privées pour faire respecter les droits. »
Le manque de ressource pour la clientèle est également une constante source de frustrations pour l’intervenante. « Je suis en constante bataille contre le système pour avoir des moyens. C’est lui qui nous mets des bâtons dans les roues. Des fois, à force de démarches, de téléphones, on trouve la personne qui va nous aider dans le réseau et nous permettre d’accéder à la ressource nécessaire. J’ai dû apprendre à me
faufiler dans les mailles du système. Mais ça demande du temps de faire ces démarches », poursuit-elle.
« C’est comme la maison des fous dans les douze travaux d’Astérix, résume pour sa part Madeleine Lemay Bonenfant, agente de relations humaines au Centre jeunesse de Québec. On doit trouver les bons mots, les bons arguments pour faire avancer nos dossiers », lance-elle. Celle-ci se désole toutefois de manquer trop souvent de moyens pour donner les services.
Il faut être combative pour s’impliquer auprès de notre clientèle, raconte Sabrina. Mais certaines personnes sont épuisées à force de se battre. On doit se protéger pour ne pas être trop affectée et ça prend des années de pratique avant d’y arriver. Souvent, on amène le travail chez nous, le soir.
À cet épuisement, s’ajoute un autre irritant : tout un travail clérical afin de répondre aux demandes du ministère pour l’allocation de budgets, notamment. Des tâches qui, bien que nécessaires, diminuent le temps passé directement avec la clientèle et dérangent par leur ampleur bon nombre d’intervenants.
Pour une profession reconnue
Les intervenantes et intervenants souhaitent donc que leur profession soit mieux appréciée, car comme ils le soulignent à gros traits, une problématique qui n’est pas traitée risque souvent de se retrouver aggravée par la suite. Ils souhaitent donc, en écho aux revendications de la CSN, un meilleur appui de la part des décideurs car les coupes budgétaires font mal à ceux et celles qu’ils tentent d’aider et accentue la pression sur les intervenants.
Au final, il s’agit de valoriser davantage le travail inquantifiable de la part de ces gens dévoués à l’endroit des plus vulnérables. Pour ce faire, l’une des avenues serait de recevoir gratuitement la formation continue de la part de l’employeur pour l’amélioration de la pratique, soutient Valérie Slythe. « Ce n’est pas à nous de sortir l’argent de nos poches. Il se doit de payer les formations! » En effet, ce serait la moindre des choses de permettre à ces acteurs essentiels du réseau de recevoir une formation. C’est une simple question de reconnaissance.
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